LA BATAILLE TERRESTRE D’ABOUKIR
Egypte : 25 juillet 1799

LE CONTEXTE
Le contexte de l’affrontement qui se prépare est délicat pour Bonaparte :
– La campagne de Syrie a été un échec que le général en chef essaye d’ailleurs d’imputer à la peste.
– La situation des effectifs du corps expéditionnaire est préoccupante : sur les trente-six mille hommes débarqués en juillet 1798, il en reste dix-huit mille disponibles. Près de dix-huit mille soldats sont morts, blessés, malades, aveugles ou handicapés !
Et encore, pour les affrontements futurs il faudra diminuer les effectifs des troupes laissées en garnison et de celles destinées à « assurer les arrières ».
Depuis son retour de l’expédition de Syrie, Bonaparte s’est efforcé de renforcer le corps expéditionnaire, non par des renforts venus de France rendus impossibles tant par la situation militaire en Europe que par la croisière anglaise, mais par recrutement « local » : grecs, albanais, coptes, mamelouks, druzes et même esclaves noirs.
En fait, ces troupes sont de piètre qualité guerrière et ne seront utiles que pour le maintien de l’ordre.
– La situation matérielle des troupes est tout aussi inquiétante : les cartouches manquent et les uniformes ne sont souvent plus que des lambeaux.
– Le pays reste peu sûr pour les français.
Afin de réduire les risques d’insurrection pendant les opérations militaires, Bonaparte fait arrêter et exécuter les gens « douteux ». Cette méthode brutale se révèlera efficace.
– Les impôts rentrent mal et leur perception est un frein au rapprochement avec les français, alors même que les prélèvements effectués par les nouveaux occupants sont largement inférieurs à ceux pratiqués par les mamelouks.

LES OPERATIONS MILITAIRES
Elles débutent le 12 juillet 1799 par l’arrivée en rade d’Aboukir d’une flotte anglo-ottomane composé de treize vaisseaux de ligne, quelques frégates et bâtiments légers et près de quatre-vingt navires de transport.
De cette armada, vingt mille turcs débarquent et attaquent le port et le village d’Aboukir qui, malgré les ordres du général en chef, n’ont pas été convenablement mis en état de défense par la petite garnison française qui comprend trois cents hommes et trois canons, commandés par le chef de bataillon Godart.
Les turcs cernent la redoute et attaquent sous la protection des canons anglais.
Les français sont trop peu nombreux pour espérer vaincre mais se battent courageusement.
La bataille est acharnée ; aucun des adversaires ne fait de quartier.
Finalement, l’un des derniers défenseurs met le feu au magasin à poudre.
L’explosion détruit tout et ensevelit ensemble défenseurs et attaquants.
Marmont, arrivé en renfort à la tête de mille deux cents hommes, constate la disproportion des forces en présence et repart aussitôt sur Alexandrie.
Les turcs s’installent alors dans la presqu’île d’Aboukir, s’y retranchent et attendent des renforts de cavalerie.
De son côté, Bonaparte a rassemblé les troupes disponibles : les divisions Lannes, Rampon, Murat et une partie de la cavalerie de Desaix commandée par Davout.
Les divisions Kléber et Reynier, stationnées dans le delta du Nil, ont l’ordre de se rapprocher d’Aboukir, pendant que la division Desaix doit évacuer la Haute Egypte.
L’armée française rassemblée à la hâte arrive à Alexandrie le 23 juillet ; elle compte sept mille hommes à peine.
Bonaparte constate que les anglais n’ont pas débarqué de troupes et estime que la position turque est vulnérable : deux lignes de défense situées à deux kilomètres de distance.
– La première appuyée d’un côté sur une dune qui borde la mer et appuyée de l’autre côté sur une dune qui borde le lac Madieh.
Chaque dune est défendue par un millier d’hommes ; le centre de la ligne, adossée à un village, est tenu par deux mille hommes.
– La deuxième ligne est formée par la redoute construite par les français devant le village d’Aboukir. Elle est établie en face de la terre et se prolonge jusqu’à la mer.
Cette ligne est tenue par le gros des forces ottomanes.
Le 25 juillet, l’attaque française est déclenchée.
L’ordre de bataille est le suivant :
– en avant-garde la cavalerie commandée par Murat;
– la droite compte deux mille sept cents hommes commandés par Lannes;
– la gauche compte deux mille trois cents hommes commandés par Destaing;
– en réserve deux mille quatre cents hommes commandés par Lanussse;
– en protection des communications avec Alexandrie trois cents hommes commandés par Davout.
Les premiers objectifs sont les deux dunes de la première ligne de défense turque et sont dévolus à Destaing (à gauche) et Lannes (à droite).
Murat est chargé de contourner ces deux points et de prendre les défenseurs à revers.
L’attaque française frontale est fougueuse tandis que la cavalerie de Murat sabre tout défenseur qui recule.
Les turcs, se voyant cernés, s’enfuient vers la mer, poursuivis par la cavalerie française.
Lannes et Destaing se rabattent alors vers le centre et attaquent le village, point d’appui de la première ligne turque.
Les turcs résistent courageusement jusqu’à ce que la cavalerie française, qui a contourné le village, repousse une colonne de secours venue de la deuxième ligne turque.
Le village est alors emporté et ses défenseurs, en fuite vers la mer, décimés.
A ce moment, l’armée turque est enfermée dans la presqu’île d’Aboukir.
Laissant les unités de Lannes et de Destaing au repos, Bonaparte fait marcher sur la seconde ligne turque les troupes de Lanusse qui étaient en réserve et fait installer une batterie d’artillerie sur un éperon qui s’avance dans la mer à l’est de la plage d’Aboukir.
Dès qu’elle est installée, cette batterie prend à revers la gauche turque et l’accable de boulets.
Les défenseurs turcs s’enfuient de la position qui est bombardée, laissant un vide dans leurs lignes.
La cavalerie française charge alors cette portion du front, suivie par la division Lannes.
Les turcs vont à leur rencontre et leur artillerie stoppent l’offensive française.
Les français sont contraints de se retirer et se remettent en ordre.
Les turcs commettent alors l’erreur de sortir de leur redoute pour couper les têtes des morts en guise de trophées.
Deux bataillons français, ainsi que la cavalerie de Murat, attaquent aussitôt la redoute qui est enlevée.
La cavalerie arrive jusque dans le camp du général ottoman, Mustapha Pacha.
Murat le somme de se rendre.
Pour toute réponse, Mustapha Pacha lui tire un coup de pistolet qui le blesse à la mâchoire.
Murat lui assène un coup de sabre qui lui coupe deux doigts de la main droite.

Ainsi prisonnier, Mustapha Pacha est envoyé au Général en Chef.
La panique gagne les turcs qui fuient en désordre vers la mer, dans l’espoir de se rembarquer sur les bateaux.
Ils périront pour la plupart, sabrés ou noyés.
Le commodore anglais Sydney Smith manque même d’être capturé.
Seuls quatre mille turcs échappés au désastre, se retranchent dans le fort d’Aboukir.
Kléber, arrivé trop tard pour participer aux combats, dira à Bonaparte cette phrase restée célèbre : « Général, vous êtes grand comme le monde ».
Bonaparte, avant de rentrer à Alexandrie, confie à Menou, arrivé après la bataille, la mission de s’emparer du fort d’Aboukir.
Après un siège de quelques jours, plusieurs sorties repoussées et de furieux combats, les défenseurs turcs se rendent le 2 août, à court d’eau et de vivres.
Nourris et soignés par les français, la plupart d’entre eux périra d’indigestion …

LES RESULTATS ET LES SUITES
La victoire française est totale : l’armée ottomane est quasiment détruite, elle a perdu une centaine de drapeaux, trente deux canons, tous ses bagages et son commandant est prisonnier.
Les français ont pour leur part perdu une centaine de tués et cinq cents blessés.
Bonaparte apprend la capitulation du fort d’Aboukir le 3 août et dépêche à Menou son aide de camp pour obtenir plus de détails.
Celui-ci se verra remettre par un parlementaire anglais un paquet de gazettes européennes de la part de l’amiral Sydney Smith.
Les nouvelles sont mauvaises : la France connaît des revers militaires en Allemagne et en Italie ainsi que des désordres intérieurs.
L’intention des anglais est évidente : ils espèrent amener Bonaparte soit à renoncer à la lutte, soit à un retour vers la France ce qui devrait entraîner sa capture en mer.
Après une nuit passée à dévorer les nouvelles de France, Bonaparte a pris sa décision : il va regagner la France dans le plus grand secret.
Il quitte d’Egypte le 23 août en confiant le commandement de l’armée au général Kléber.
Il débarque à Saint Raphaël le 9 octobre 1799.